Expertise
Dans un arrêt rendu le 30 octobre 2013 (pourvoi 12-22.962, publié au bulletin), la Chambre Sociale de la Cour de Cassation vient préciser un peu plus les contours de la mise à pied conservatoire.
Par cet arrêt de rejet la Chambre Sociale est venue préciser d’une part que le caractère conservatoire de mise à piedne se déduit pas de la seule qualification de « mise à pied conservatoire » donnée par l’employeur et, d’autre part, que si un délai trop long s’est écoulé entre la notification de la mise à pied et l’engagement de la procédure de licenciement, la mise à pied présente un caractère disciplinaire de sorte que l’employeur ne peut sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement.
L’attendu est explicite :
« Mais attendu, d’abord, ayant relevé que l’employeur avait notifié au salarié sa mise à pied et qu’il n’avait engagé la procédure de licenciement que six jours plus tard sans justifier d’aucun motif à ce délai, la Cour d’Appel a pu en déduire que la mise à pied présente un caractère disciplinaire nonobstant sa qualification de mise à pied conservatoire et que l’employeur ne pouvait sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement ».
Cette décision doit conduire les employeurs à utiliser la mise à pied à titre conservatoire avec précaution et célérité.
Rappelons que la mise à pied conservatoire est une mesure permettant à l’employeur d’écarter le salarié de l’entreprise pendant le temps de la procédure.
L’article L 1332-3 du Code du travail prévoit expressément la possibilité d’une telle mise à pied à titre conservatoire :
«Lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l’article L 1332-2 ait été respectée. »
La mise à pied conservatoire n’est donc pas une sanction.
Cette mesure prise dans l’attente d’une sanction disciplinaire permet ainsi à l’employeur de pouvoir « statuer sur le cas de l’intéressé » tout en l’écartant de l’entreprise afin qu’il ne puisse pas nuire à sa bonne marche.
Par cet arrêt du 30 octobre 2013, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation rappelle la nécessaire simultanéité entre la notification de la mise à pied à titre conservatoire et l’engagement de la procédure disciplinaire (I) à défaut de quoi la mise à pied, même qualifiée expressément par l’employeur de « conservatoire », peut être requalifiée en mis à pied disciplinaire (II).
I. LA NÉCESSAIRE SIMULTANEITE DE LA MISE A PIED A TITRE CONSERVATOIRE ET DE LA PROCEDURE DISCIPLINAIRE
A travers cet arrêt du 30 octobre 2013, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation rappelle une nouvelle fois le principe selon lequel l’employeur se doit d’engager concomitamment au prononcé de la mise à pied à titre conservatoire une procédure de licenciement. Autrement dit, la convocation à entretien préalable, qui marque l’engagement de la procédure de licenciement, doit être concomitante à la mise à pied conservatoire ou la suivre immédiatement.
La Chambre Sociale a déjà par le passé précisé ce principe (Cass. Soc. 30 septembre 2004 n°02-43.638 (n°1839F-P), CHAPRON c/ STE CHAINE THERMALE DU SOLEIL : RJS 12/04 n°1264, bull. civ. V n°240 ou encore Cass. Soc. 1er juin 2004 n°01-46.956, STE LES GRANDS GARAGES DE LANNION c/ GUYON).
La question se pose donc de savoir comment les Juges du fond apprécient le caractère concomitant de la mise en œuvre de la procédure disciplinaire.
Il ressort d’une jurisprudence abondante rendue en la matière que cette procédure disciplinaire doit être engagée dans un très bref délai.
Ainsi, des délais de dix jours, de sept jours ou encore de trois semaines ont été jugés comme trop longs (Cass. Soc. 16 juin 2004 n°02-42.663, DEMADE c/ CRCAM NORD EST, Cass. Soc. 10 novembre 2003 n°01-44.104, STE CENTRAL CAR ET A. c/ TROMPETER et Cass. Soc. 1er décembre 2011 n°09-72.958, STE TRANSPORTS MORELLE c/ MESAGLIO).
Dans cet arrêt du 30 octobre 2013, la Chambre Sociale fait application de ce principe pour retenir qu’un délai de six jours qui n’était justifié par aucun motif, a pu être apprécié souverainement par les Juges du fond comme étant trop long et a pu conduire ces derniers à en déduire que la mise à pied présentait un caractère disciplinaire.
A la lecture de l’arrêt (« sans justifier d’aucun motif à ce délai ») on peut penser qu’un motif légitime pourrait justifier un délai entre la mise à pied conservatoire et l’engagement de la procédure de licenciement (absence d’un signataire, refus du salarié de recevoir la convocation à entretien préalable en main propre, jours fériés, grève…)
A défaut de justifier d’un tel motif, l’employeur s’expose à ce que les juges considère le délai entre la mis à pied à titre conservatoire et l’engagement de la procédure comme excessif et illégitime.
Il parait exclu que l’employeur puisse invoquer des vérifications nécessaires quant aux faits justifiant la mesure pour différer l’engagement de la procédure de licenciement. En effet, ces vérifications peuvent parfaitement être menées dans le temps qui sépare la convocation à entretien préalable de l’entretien préalable lui-même, voir dans le temps qui sépare l’entretien de la notification du licenciement (un mois au plus).
Dans des circonstance particulières, la Cour d’Appel de Poitiers a pu juger qu’une durée de deux mois et demi environ séparant la notification de la mise à pied de l’engagement de la procédure de licenciement ne remettait pas en cause la qualification de mise à pied à titre conservatoire puisque ce délai s’expliquait par la nécessité pour l’employeur de procéder à des investigations de recourir à une expertise amiable puis judiciaire en raison du manque de coopération du salarié, afin d’identifier l’auteur de propos xénophobes et diffamatoires (Cour d’Appel de Poitiers 9 mars 2010, n°08-2867, Ch. Soc. BOUAMA c/ SAS TENCIA).
Cette décision ne peut toutefois être généralisée, et la prudence veut que la procédure disciplinaire soit engagée de façon concomitante à la mise à pied conservatoire à ou à tout le moins dans un très bref délai.
On ne peut donc que préconiser aux employeurs de confirmer par écrit, le jour même de la notification ou le jour ouvrable suivant, la mise à pied conservatoire dans la lettre de convocation à entretien préalable remise en mains propres ou adressée par courrier recommandé avec accusé de réception.
La sanction du non respect de ce principe est la requalification de la mise à pied à titre conservatoire.
II. LA REQUALIFICATION DE LA MISE A PIED A TITRE CONSERVATOIRE :
A défaut d’engager la procédure de licenciement simultanément à la mise à pied conservatoire, l’employeur s’expose à ce que la mise à pied soit requalifiée en mise à pied disciplinaire, avec des conséquences redoutables.
La Chambre Sociale est précise dans l’arrêt du 30 octobre 2013, que la qualification de « mise à pied conservatoire » donnée par l’employeur est sans incidence sur sa nature ; les juges du fond pouvant souverainement apprécier la nature de la mise à pied et la requalifier en mise à pied disciplinaire.
Il résultait de précédentes jurisprudences que la mention expresse du caractère conservatoire de la mise à pied faisait présumer qu’il s’agissait d’une mise à pied conservatoire.
En effet, par un arrêt du 4 juillet 1990, la Chambre Sociale a jugé que le caractère conservatoire de la mise à pied était reconnu lorsque l’employeur qualifiait expressément la mise à pied de « mise à pied à titre conservatoire » (Cass. Soc. 4 juillet 1990 n°87-44.840, n°28-83 P, CAPPELLE c/ ETS DERRO : bull. civ. V n°348).
Par suite, elle était venue indiquer dans différents arrêts que la simple mention d’une mise à pied à titre conservatoire dans la lettre de convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement suffisait, précisant qu’il importait peu que l’employeur ait prévu une durée déterminée à la mise à pied (Cass. Soc. 4 juillet 2007 n°05-45.293 CMSA D LAENDES c/ DARRACQ, Cass. Soc. 27 novembre 2007 n°06-42.547, STE A. POINT INGENIERIE c/ BELAMY ET A., Cass. Soc. 18 mars 2009, n°07-44.185 n°558 F-P+B, STE MARIE BRIZARD ET ROGER INTERNATIONAL c/ BONNIN ET A.).
Au contraire, la Chambre Sociale de la Cour de Cassation avait jugé qu’en l’absence de référence explicite à l’éventualité d’un licenciement ou dans le cas d’une mise à pied prononcée sans indication de son caractère conservatoire et n’ayant pas été suivie immédiatement d’ouverture d’une procédure de licenciement, il s’agissait d’une sanction disciplinaire (Cass. Soc. 5 mai 1999 n°97-40.454 (n°1932 D) SARL AXIOM c/ OLIVIER).
L’apport de l’arrêt du 30 octobre 2013 est de venir préciser que la mention expresse de mise à pied conservatoire et la qualification donnée par l’employeur à la mise à pied notifiée à son salarié, n’est pas suffisante.
La solution est logique. Les juges disposent d’un pouvoir de requalification et peuvent donc parfaitement, nonobstant la qualification donnée par l’employeur, estimer que la mise à pied prononcée présente en réalité un caractère disciplinaire si la simultanéité entre le prononcé de la mise à pied à titre conservatoire et la mise en œuvre de la procédure de licenciement n’est pas respectée.
La conséquence d’une telle requalification, qui interviendra postérieurement au licenciement dans le cadre d’une procédure prud’homale, est redoutable.
En vertu du principe non bis in idem, un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits.
La mise à pied conservatoire requalifiée en mise à pied disciplinaire constitue, du fait de cette requalification, une sanction vidant le pouvoir disciplinaire de l’employeur pour les faits qui la précèdent.
Dès lors, le licenciement prononcé ultérieurement pour les des faits qui précédent la mise à pied constitue une deuxième sanction illicite. Le licenciement est donc nécessairement privé de cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires qui en découle au profit du salarié.
Cet article n’engage que son auteur.