Expertise
Arrêt Cour de Cassation, 3ème Chambre civile en date du 8 avril 2021 (n°20-18.327 PB).
Selon la juridiction suprême, un copropriétaire est recevable à exercer une action oblique en résiliation d’un bail commercial en lieu et place du copropriétaire bailleur pour non-respect par le locataire du règlement de copropriété. |
Le règlement de copropriété, véritable contrat passé entre copropriétaires, est opposable au locataire qui est tenu de le respecter. Il en résulte que, tout comme le copropriétaire, le locataire doit se conformer à la destination autorisée des lieux, respecter les parties communes et privatives ou encore s’abstenir de causer des troubles anormaux du voisinage aux autres occupants de l’immeuble tels que des nuisances sonores, olfactives…
Le bailleur copropriétaire doit ainsi veiller au respect par son locataire du règlement de copropriété et peut demander la résiliation du bail commercial pour faute du preneur.
Mais qu’en est-il dans l’hypothèse où le bailleur copropriétaire reste inactif face aux manquements de son locataire ?
L’ancien article 1166 devenu 1341-1 du Code Civil à l’issu de la réforme du droit des contrats de 2016 met à disposition de tout créancier une action dite « oblique ». Il s’agit d’une action en justice, de nature patrimoniale, engagée par un créancier en lieu et place de son débiteur non diligent afin de faire cesser le comportement d’un tiers compromettant ses droits.
« Lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. »
Habituellement utilisée pour réclamer le paiement d’une somme d’argent, la Cour de cassation a par le passé considéré que l’action oblique pouvait être engagée par le syndic des copropriétaires aux fins de poursuivre la résiliation du bail d’un locataire ne respectant pas le règlement de copropriété en substitution d’un bailleur propriétaire défaillant (3ème Civ., 14 novembre 1985 n°84-15577).
Dans un premier arrêt rendu par la troisième chambre civile le 12 juillet 2018, la Cour de Cassation a reconnu implicitement cette même faculté au copropriétaire. Les Hauts juges ont en effet déclaré irrecevable l’action oblique exercée par un copropriétaire, non pas en raison de cette qualité, mais parceque la carence du bailleur, qui avait démontré avoir accompli de nombreuses diligences, n’était pas établie en l’espèce (3ème Civ., 12 juillet 2018 n°17-20680).
Récemment, la Cour de cassation a confirmé cette faculté au copropriétaire dans son arrêt publié au Bulletin rendu par la Troisième Chambre Civile le 8 avril 2021. Les Hauts Juges ont ainsi considéré explicitement qu’un copropriétaire était recevable à exercer une action en résiliation d’un bail commercial du fait d’un non-respect du règlement de copropriété par le locataire en lieu et place du copropriétaire bailleur dès lors que ce dernier était négligent (3ème Civ., 8 avril 2021 n°20-18327).
En l’espèce, un local commercial situé dans un immeuble soumis au statut de copropriété avait été donné à bail à une société dont l’activité consistait en l’achat et la vente de cyclomoteurs, la réparation de scooters et la location de véhicules sans chauffeur et activités connexes. Se plaignant de nuisances sonores et olfactives, les copropriétaires de l’immeuble ont assigné la société preneuse et le syndicat de copropriété en résiliation du bail, expulsion et interdiction d’exercer l’activité dans les lieux. En défense, le locataire soulevait que l’action oblique ne pouvait être exercée par un copropriétaire à l’encontre d’un preneur et d’un autre copropriétaire. En tout état de cause, il opposait qu’une telle action était soumise à une carence du copropriétaire bailleur de nature à compromettre les droits du demandeur.
En réponse, la Cour de Cassation au visa de l’article 1166 du Code civil (devenu 1341-1), a affirmé qu’un copropriétaire était créancier à l’encontre des autres copropriétaires du droit au respect du règlement de copropriété de nature contractuelle.
Dès lors, en cas de carence du copropriétaire bailleur à faire respecter le règlement de copropriété par son locataire, un copropriétaire peut, à titre personnel et à l’instar du syndic de copropriété, exercer en lieu et place de ce dernier une action en justice visant à obtenir la résiliation du bail pour faute du preneur.
Deux conditions doivent néanmoins être remplies :
- Un manquement du locataire au règlement de copropriété causant un préjudice au copropriétaire demandeur à l’action ;
En l’espèce, il s’agissait de nuisances sonores et olfactives subies par les copropriétaires résultant de l’activité de réparation de motos et de travaux réalisés par le preneur. Or, le règlement de copropriété prévoyait une interdiction des nuisance anormales au sein de la copropriété en vertu du droit à la tranquillité des copropriétaires.
- Une carence du copropriétaire bailleur pour faire cesser le manquement.
S’agissant de cette condition, la Cour a considéré qu’une résolution de l’assemblée générale des copropriétaires autorisant la réalisation de travaux par le locataire était contraire au droit de ne pas troubler la tranquillité des copropriétaires tel que stipulé dans le règlement de copropriété. Ce faisant, le copropriétaire bailleur, bien qu’informé des nuisances à intervenir causées par son locataire, n’avait entrepris aucune diligence de nature à faire cesser le manquement de son locataire au règlement de copropriété. A la différence du cas d’espèce de l’arrêt du 12 juillet 2018 précité, la Cour de cassation a considéré que le bailleur copropriétaire échouait à rapporter la preuve d’actions utiles directement menées à l’égard de son locataire de sorte que son inertie caractérisait sa carence et permettait aux copropriétaires d’exercer une action oblique en substitution de ce dernier.
Bonne nouvelle pour les copropriétaires subissant un préjudice du fait des nuisances d’un locataire et dont le copropriétaire bailleur reste inactif, désormais expressément recevables à demander la résiliation judiciaire du bail sur le fondement de l’article 1341-1 du Code civil.
D’autant que la Cour de cassation s’est référée dans son arrêt de principe à une action en résiliation d’un « bail » sans pour autant préciser le cas d’espèce portant sur un bail commercial. Cela laisse à penser qu’une telle solution est transposable à l’action oblique en résolution d’un bail d’habitation…augurant la perspective de nombreux contentieux à venir.
Caroline PAYEN et Manon CHAMPEAUX